Géosciences

L’eau ne lubrifie pas le manteau terrestre

L’eau est censée permettre les déformations tectoniques en diminuant la viscosité des roches du manteau supérieur. Une expérience remet en cause cette idée.

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Les géophysiciens pensaient depuis longtemps que la capacité singulière des couches rocheuses sous-jacentes à la croûte terrestre à subir des déformations dites plastiques était due à leur hydratation. L’équipe de Tomoo Katsura, de l’Université de Bayreuth, et des collègues allemands et japonais viennent de mettre en évidence un indice qui contredit cette idée.

La Terre est constituée d’un noyau métallique surmonté de deux couches : la croûte et le manteau terrestres. Ce dernier se subdivise en manteau inférieur (mésosphère) et manteau supérieur (comprenant l’asthénosphère et le manteau lithosphérique dans sa partie supérieure), dont l’épaisseur dépend de celle de la lithosphère (croûte terrestre plus manteau lithosphérique), mais qui atteindrait par endroits 700 kilomètres. Asthénosphère signifie en grec « sans résistance »  et, de fait, cette couche est plus ductile que les roches mantelliques plus profondes, et peut absorber les déformations plastiques (c'est-à-dire impliquant le déplacement irréversible d'atomes constitutifs du matériau) induites par le mouvement des plaques lithosphériques (mouvement aussi nommé tectonique des plaques).

Comment ? Les agrégats de différent minéraux qui constituent l’asthénosphère comprennent environ 60 pour cent d’olivine (des silicates caratérisés par une cristallisation selon un réseau dit orthorhombique), 30 pour cent de pyroxènes (d’autres silicates à cristallisation monoclinique) et d’autres types minoritaires de cristaux (grenats,…) ainsi, éventuellement, qu’une fraction fondue. Plusieurs mécanismes simultanés sont associés aux déformations plastiques dans ce matériau, dont principalement le glissement de dislocations (discontinuités dans la structure cristalline) dans la structure et la migration d’ions et de lacunes, un processus nommé fluage par diffusion ou auto-diffusion. De la somme de ces effets dépend la viscosité du manteau supérieur, c’est-à-dire sa résistance à l’écoulement, qui exerce une influence cruciale sur le déplacement des plaques tectoniques.

Toutefois, il semble que l’auto-diffusion contrôle le glissement des dislocations. En effet, dans l’olivine sèche (non hydratée), l’énergie nécessaire pour provoquer le mouvement des dislocations et celle nécessaire pour induire la diffusion des atomes sont du même ordre, ce qui suggère que les conditions nécessaires pour que les dislocations se déplacent sont obtenues lorsque les atomes commencent à diffuser. Par ailleurs, on a observé que la viscosité de roches portées à haute température est souvent contrôlée par la diffusion des atomes les plus lents, c’est-à-dire du silicium dans le cas de l’olivine.

C’est pourquoi les chercheurs ont décidé d’estimer l’influence de l’eau sur la viscosité du matériau constituant l’asthénosphère en étudiant la diffusion du silicium. Ils ont entrepris de mesurer le coefficient de diffusion des atomes dans le matériau en fonction de sa teneur en eau. Pour ce faire, ils ont préparé un cristal de forstérite (de l’olivine de formule Mg2SiO4, purement magnésienne, tandis que l’olivine du manteau contient quelque 10 pour cent de fer), qu'ils ont ensuite dopé à l’eau (c’est-à-dire qu'ils ont incorporé des ions hydroxyles OH dans la structure) sous une pression de 8 gigapascals (80 000 atmosphères, obtenues à l’aide d’une presse multi-enclumes) et à des températures de 1 600 à 1 800 kelvins, ce qui correspond aux conditions régnant dans le manteau à environ 200 kilomètres de profondeur. Les chercheurs ont ainsi préparé des échantillons avec des concentrations d’eau variant de 0,1 à 1000 parties par million. Ils les ont ensuite recouverts d’un mince film enrichi en silicium, avant de les replacer dans la presse sous les mêmes conditions pour provoquer la diffusion des atomes de silicium du film dans la forstérite. Une analyse par spectrométrie de masse a ensuite permis de déterminer l’enrichissement en silicium du cristal de forstérite et, à partir de là, le coefficient de diffusion.

Une loi empirique approximative ressort de l’analyse des résultats : dans les conditions typiques régnant à plusieurs centaines de kilomètres dans le manteau, le coefficient de diffusion est proportionnel à la concentration d’eau à la puissance 1/3. Or un modèle permet d’obtenir la viscosité à partir du coefficient de diffusion : il en ressort que l’eau n’a qu’une influence marginale sur la viscosité de la forstérite. En effet, la comparaison entre la viscosité de forstérites modèles ne contenant pas d’eau, ou contenant une fraction fondue de un pour cent, conduit pratiquement aux mêmes courbes de la viscosité en fonction de la profondeur.

Ainsi, l’idée que l’eau est le lubrifiant de la tectonique, c'est-à-dire qu’elle expliquerait à elle seule la faible viscosité du manteau supérieur qui permet le mouvement des plaques lithosphériques, semble sujette à caution. Toutefois, pour en être vraiment assuré, il faudra reproduire le même genre d’expérience avec des roches modèles plus réalistes. Le manteau n’est pas fait que d’olivine, et encore moins seulement de forstérite !

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François Savatier

François Savatier est rédacteur à Pour la Science. Il est l’auteur de Dernières nouvelles de Sapiens (Flammarion, 2021).

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Références

H. Fei et al., Small Effect of water upper-mantle rheology based on silicon self-diffusion coefficients, Nature, vol. 498, pp. 213-215, 2013.

Un commentaire de ce résultat : J. Brodholt, Water may be a damp squib, Nature, vol. 498, pp. 181-182, 2013.

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