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Gustave Courbet, l’indompté

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Gustave Courbet, autoportrait à Sainte-Pélagie, circa 1872 (détail).

Gustave Courbet, autoportrait à Sainte-Pélagie, circa 1872 (détail).
© Gustave Courbet / Web Gallery of Art / Wikimedia
David Ramasseul

Gustave Courbet, matérialiste aux élans mystiques, a traversé le XIXe comme un fleuve tumultueux, charriant chefs d'oeuvre et scandales.

Qui se souvient, en passant près de la colonne Vendôme, que ce symbole viril des victoires napoléoniennes est aussi l’arme d’un crime ? Que ce monument orgueilleux est l’instrument de la ruine, de la déchéance et de la mort de Gustave Courbet en 1877 ? Sa fin misérable, en exil dans la petite commune suisse de Tour-de-Peilz, fait écho à l’autre bannissement, artistique celui-là, qu’il avait subi deux décennies plus tôt.

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En 1855, une baraque se dresse au 7 avenue Montaigne, à quelques pas des bâtiments de l’Exposition Universelle. A l’intérieur, quarante tableaux pour autant de chef d’œuvre s’entassent dans un espace réduit. De cet amoncellement émerge une toile de près six mètres de large, haute comme deux hommes. C’est «l’Atelier du peintre», flanqué d’un sous-titre long comme le cou d’Olympia : «Allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique et morale». Y figure, comme dans une représentation du Jugement Dernier, toute «la société dans ses intérêts et ses passions», selon les mots de Courbet.

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Il ne croit qu’au au labeur se moque du génie mais tombe en extase devant Rembrandt et Caravage

Pour Courbet, «l’Atelier du peintre» devait être le clou du salon de l’Exposition universelle. Il a été rejeté par le jury avec ce souverain mépris, apanage des gardiens du bon goût, craché en une formule : «Un désastre pour la peinture». Alors, le banni a monté son Pavillon du Réalisme, pied de nez à l’académisme bourgeois, face à l’Exposition universelle. A 36 ans, Courbet n’est pas un inconnu. En 1850, «L’enterrement à Ornans», du nom de son village natal, en Franche-Comté, a suscité l’effroi des bien-pensants, horrifiés par cette procession de 46 villageois, «ignobles», magnifiés par un format de 315x668 cm d’ordinaire réservé aux vastes fresques historiques de l’art pompier. En 1853, il a fait pire encore avec ses «Baigneuses», deux paysannes aux hanches lourdes et aux pieds sales, réplique railleuse aux beautés néo-classiques de Jean-Domique Ingres. Napoléon III aurait, dit-on, frappé de sa badine la croupe de la femme nue dans un geste de rage.

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Mais, avec son Pavillon du Réalisme, Courbet change de statut. C’était un trublion, le voilà chef de file. «Anarchiste et autodidacte, il fonde naturellement une Ecole, c’est-à-dire une religion» écrit Elie Faure dans sa torrentielle et partiale «Histoire de l’Art». Pourtant, le terme même de Réalisme, Courbet ne l’a pas choisi. C’est une arme fournie par l’adversaire dont il se sert désormais sans vergogne. «Le titre de réaliste m'a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 celui de romantique» écrit-il dans la brochure qui accompagne son exposition, «Exhibition et vente de quarante tableaux et quatre dessins de l'oeuvre de Gustave Courbet». Les jeunes Fantin-Latour, Degas, Claude Monet s’enthousiasment pour ce fils d’un propriétaire terrien aisé qui ne croit qu’au au labeur et se moque du génie mais tombe en extase devant Rembrandt et le Caravage.

Bien qu’athée, il s’impose une exigence de pureté, presque une ascèse, à laquelle il ne dérogera jamais. Il jure «de ne jamais peindre, fût-ce grand comme la main, dans le seul but de plaire à quelqu’un ou de vendre». Il clame son matérialisme et vomit le clergé. En 1863, il peint «Le retour de la conférence» où des curés saouls comme des barriques titubent sur une route de campagne sous les quolibets des paysans. L’œuvre originale a disparu, sans doute achetée par un catholique indigné dans le seul but de la détruire. «Chaque fois qu’on parle devant lui d’idéal, ou d’imagination, ou de beauté, ou de poésie, ou de mystère, il hausse ses grosses épaules, prend sa brosse et peint un étron» s’emporte Elie Faure qui ne l’appréciait guère.

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En avril 1870, il s’offre le plaisir de refuser la Légion d’Honneur

Mais, entre deux scandales, il parvient à s’attirer l’admiration de la critique avec des toiles comme «La femme au perroquet», qui le font comparer à Titien, tandis que l’érotisme sans fard de ses saphiques «Dormeuses» envoûte l'ambassadeur de Turquie, le richissime Khalil Bey, celui-là même qui en 1866, deviendra le premier acquéreur de «l’Origine du Monde» . Quand à ses grands tableaux de chasse où s’épanouit une nature charnelle et profonde, ses marines qu’il préfère appeler «paysages marins», ils séduisent un large public. Au point qu’au sommet de sa gloire, en avril 1870, il s’offre le plaisir de refuser la Légion d’Honneur dans une lettre ouverte au ministre des Beaux-Art : «Si le hasard vous appelait à la foire d'Ornans, vous observeriez que tous les plus beaux moutons de la foire sont marqués d'un coup de craie rouge sur le dos. Les gens naïfs et bien intentionnés qui ignorent les lois de l'agriculture et des arts s'imaginent, dans leur simplicité et leur candeur pastorale, que c'est un hommage qu'on rend à leur beauté. Mais, hélas! Ils ne savent pas que le boucher les a marqués pour les tuer!!!!" 

Pourtant, cet idéalisme qu’il pourfend dans l’art, il le porte à la manière d’un étendard en politique. En 1870, il se jette à corps perdu dans la résistance à l’occupation prussienne et s’enchaîne à Paris alors que tant d’autres fuient la capitale. Lors de la proclamation de la République, il est nommé président de la Commission des Arts et commet la faute qui permettra de le châtier de tous ses crimes contre l’ordre académique et social, rendus plus impardonnables encore par sa gloire populaire : il lance une pétition appelant au déboulonnage de la colonne Vendôme, symbole du premier et du second empire. Son souhait sera exaucé huit mois plus tard par la Commune, pour laquelle il a pris fait et cause. Après l’écrasement sanglant des communards par les Versaillais, Courbet est jugé. Elu au Conseil de la Commune, il n’a pas participé aux combats et n’écope que de six mois de prison assortis d’une amende modérée.

Mais la vengeance est un plat qui se mange froid : en 1873, il est de nouveau traîné devant un tribunal pour son rôle d’instigateur de la destruction de la colonne Vendôme. Cette fois, le verdict est impitoyable : il est condamné à rembourser les frais de la reconstruction du monument, soit 323 091 francs, une fortune qu’il est incapable de payer. Il s’exile en Suisse de crainte d’être emprisonné tandis que la justice saisit tous ses biens. À Tour-de-Peilz, dans le canton de Vaud, il sombre dans la mélancolie, peint de moins en moins, boit de plus en plus et meurt le 31 décembre 1877. C’est Jules Vallès, autre indompté, qui écrit son éloge funèbre : «Il a eu la vie plus belle que ceux qui sentent, dès l'enfance et jusqu'à la mort, l'odeur des ministères, le moisi des commandes.»

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