On ne savait pas tout sur Modigliani

Le musée de Villeneuve-d'Ascq, à côté de Lille, consacre une rétrospective à l'un des plus fameux peintres du XXe siècle. Avec de grosses surprises.

    Il ne l'a pas fait exprès, d'entrer dans la postérité comme un peintre maudit, un artiste à records et à cartes postales vendues par millions. Il n'a pas fait exprès de mourir à 35 ans d'une méningite tuberculeuse en 1920. Modigliani n'y est pour rien si sa compagne, Jeanne, enceinte de neuf mois, s'est suicidée après sa mort. Il n'a même pas fait exprès de peindre les nus qui ont fait sa célébrité, ces femmes plantureuses au visage mystérieux : il n'aimait pas ça ! Il préférait les portraits, et habillés.

    Il n'y est pas pour grand-chose non plus, enfin, si le marché de l'art s'affole dès que l'un de ses nus passe aux enchères, comme ce « Nu couché » adjugé 157,8 M€ chez Christie's à New York, en novembre, le record mondial du peintre. Lui qui n'a jamais eu de marchands importants, juste des soutiens dévoués, tirait le diable par la queue. Il ne l'a pas voulu non plus si tout le monde sait ou croit savoir ce qu'est un Modigliani, car lui ne l'a jamais su.

    C'est en ce sens, à rebours de nos opinions, que l'exposition du LaM, le musée d'Art moderne de Villeneuve-d'Ascq (Nord), près de Lille, s'avère passionnante. Ce musée, qui possède l'une des plus belles collections publiques de l'artiste de Montparnasse, issue du fonds de Roger Dutilleul et Jean Masurel, collectionneurs et fondateurs de l'établissement, était l'un des plus à même de réussir cette démonstration, à travers 120 œuvres dont des raretés venues du privé.

    Il voulait être sculpteur


    Oui, c'est étrange, et pas vraiment à la mode au début du XXe siècle. La couleur plaît davantage que le marbre et la pierre. Amedeo Modigliani pourtant a complètement arrêté de peindre entre 1908 et 1914. Il ne jure que par Brancusi, qui va lui apprendre la technique. L'exposition présente cinq sculptures de l'artiste, complètement inconnues, qui montrent à quel point la sculpture, par le modelage des formes et des visages et leur simplification, très géométrique, influencera sa pein-ture. « Son style pictural très frontal, graphique, naît de sa sculpture », résume Jeanne-Bathilde Lacourt, l'une des commissaires. On découvre un autre Modigliani — ou le vrai — passionné d'égyptologie et d'art khmer, qui cherche à retrouver le secret de la beauté antique. On ne sait pas exactement pourquoi il a renoncé à tailler la pierre, mais il y a gagné quelques années de vie : la poussière était redoutable pour ce tuberculeux.

    Il a peint des artistes célèbres ou oubliés

    L'une des autres surprises de l'exposition réside dans les nombreux portraits d'artistes, ses amis de Montparnasse, croqués par Modigliani. Il peint Soutine, Picasso, mais aussi ses amis Leon Indenbaum ou Celso Lagar, aujourd'hui oubliés, l'un venu de Biélorussie, l'autre d'Espagne, des immigrés comme lui. Né à Livourne, en Toscane, dans une famille de juifs séfarades, Modigliani quitte l'Italie pour la France en 1906 et loue d'abord un atelier près du Bateau-Lavoir, ce qu'on appellerait maintenant le « loft » des artistes de Montmartre. L'exposition s'intitule « l'Œil intérieur » parce que l'Italien a réalisé son premier portrait de la sorte, un œil pour voir dehors et un autre sans pupitre pour se plonger à l'intérieur de soi, en prenant comme modèle Picasso.

    Il n'aimait pas peindre de nus

    C'est la plus grande surprise de l'exposition. Si les dessins, lavis et huiles sur toile de femmes déshabillées sont extraordinaires, comme le « Nu assis à la chemise », l'un des trésors du LaM, le musée en montre peu, par choix, et parce que Modigliani n'était pas non plus amateur de ce qui a fait sa gloire posthume. « Le nu est assez limité dans son œuvre, ce sont toujours des commandes, de son marchand Zborowski qui voulait vendre. Car Modigliani n'a jamais vendu beaucoup ni durablement. Il n'a pas vraiment percé de son vivant », éclaire la conservatrice du musée, qui précise que Modigliani a surtout peint des nus en 1917-1918, avant de revenir aux portraits.

    Le musée montre un artiste très varié, qui se cherche, jamais affilié à aucun mouvement, refusant d'exploiter une formule. « On ne voulait pas refaire le mythe de l'artiste maudit, mais remettre Modigliani dans son contexte historique », pointe la spécialiste. Et pourtant, ces fameux nus, on en contemplerait bien davantage.

    « Amedeo Modigliani, l'Œil intérieur », musée LaM de Villeneuve-d'Ascq (Nord). www.musee-lam.fr ou wwww.fnac.com. Navettes régulières et gratuites depuis Lille (www.lilletourism.com).