La Seconde Vie de Mahomet. Le Prophète dans la littérature, de Nedim Gürsel, CNRS Editions, 254 p., 20 €.
Après sa mort en 632, selon la tradition dans les bras de sa jeune épouse Aïcha, commença la vie légendaire de Mahomet, sous la double modalité d’une « légende dorée » en terre d’islam et d’une « légende noire » dans le monde chrétien. « Dépourvue de toute réalité historique, [celle-ci] ne cessera de hanter l’imaginaire de l’Occident », note le romancier et essayiste Nedim Gürsel, qui parcourt cette autre vie, dans la littérature, du prophète de l’islam.
Evoquer la biographie de Mahomet, dès que l’on quitte le terrain de l’hagiographie, est un exercice à haut risque. Nedim Gürsel l’a appris à ses dépens : en 2009, l’écrivain fut inculpé pour blasphème – puis finalement relaxé – en Turquie, son pays d’origine, à cause des quelques pages de son roman Les Filles d’Allah (Seuil, 2009) où il met en scène le prophète. D’où ce contournement, qui se révèle passionnant par ce qu’il montre de rejet mais aussi de fascination pour la figure de Mahomet. « Ce nom est aujourd’hui emblématique de ce que l’on appelle communément et souvent à tort le “choc des civilisations”, et cela est le résultat d’une longue histoire », souligne-t-il.
Dans le monde byzantin, directement confronté à l’avancée de l’islam, Mahomet est dénoncé comme un hérétique et un imposteur, voire comme l’Antéchrist annoncé par l’Apocalypse de Jean. L’Occident médiéval n’est pas en reste. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, commanditaire de la première traduction du Coran en latin, au XIIe siècle, expliquait qu’il voulait combattre efficacement « l’erreur mahométane, qu’on lui donne le nom honteux d’hérésie ou celui infâme de paganisme ». Et Dante place Mahomet au huitième cercle de son Enfer.
Bienveillants romantiques français
Les Lumières ont une approche plus nuancée, qui tente de distinguer le personnage historique derrière le mythe. Le comte de Boulainvilliers publie ainsi, en 1730, une Vie de Mahomet plutôt tolérante. Voltaire n’en pourfend pas moins, notamment dans sa pièce Le Fanatisme ou Mahomet (1743), le fondateur de l’islam. Goethe fut en revanche profondément séduit, comme en témoignent les nombreuses références poétiques à la vie du prophète dans son ultime grand œuvre, Le Divan (1819). Certains islamologues évoquent même une conversion peu avant sa mort. Les romantiques français ne furent pas en reste, voyageurs éblouis par l’Orient comme Gérard de Nerval et surtout Alphonse de Lamartine, qui porte un regard pour le moins bienveillant sur l’islam comme sur le monde ottoman.
Il vous reste 21.45% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.