Art

Pierre Soulages : ses tableaux se liquéfient mystérieusement

La peinture de trois tableaux de Pierre Soulages régresse et, plutôt que de sécher, commence à redevenir liquide de manière inexplicable. Des chercheurs enquêtent.
Pierre Soulages en 2003
Pierre Soulages aux côtés de ses œuvres en 2003.© Pierre PERRIN / Getty Images

Pierre Soulages, le maître de l’outrenoir, est devenu célèbre pour sa technique de peinture noire sur toile noire dont le jeu des textures révèle la lumière comme matériau principal. Il déplace la peinture, raclée à la spatule, pour en créer des formes uniques, jouant sur la réflexion de la lumière. Artiste de l’abstraction française, il connaît un grand rayonnement à l’international pour son style unique, flattant le spectateur chanceux de pouvoir observer ses œuvres de ses propres yeux.

Cependant, pendant trois jours, une équipe de chercheurs s’est penché sur plusieurs œuvres de Pierre Soulages dont la peinture s’est mise à suinter de manière inexplicable. Certains tableaux, en plus du craquèlement habituel dû à leurs âges, commencent à redevenir liquides à certains endroits. Ces « coulures » apparaissent visibles à l’œil des experts et provoquent des marques qui n’étaient pas présentes sur la toile originelle.

Bronze 1976 de Pierre Soulages. L'œuvre joue sur les réfractions de la lumière par le biais de sa peinture et son support. © Raphael GAILLARDE / Getty Images

En réalité, ce qui coule n’est pas la peinture mais son liant, c'est-à-dire de l’huile. Pauline Hélou de la Grandière, restauratrice spécialiste des œuvres du maître, enquête sur ce problème retrouvé sur trois de ses tableaux mais il semble aussi s’étendre sur plus d’une centaine d’autres toiles de différents artistes. Si cette liste comporte aussi ben des peintres français qu’américains, une chose les lie : ces œuvres ont toutes été peintes à Paris au même moment.

Ce phénomène, déjà repéré dans les années 1990, et qui avait intrigué Soulages lui-même semble s’éclaircir alors que la préservation de ses abstractions est en jeu. La doctorante rassure en indiquant qu’il ne s’agit pas pour le moment d’un incident dramatique mais qu’un croisement des hypothèses sera primordial pour décider du traitement à adopter.

89x130 cm, 23 Janvier 1954 de Pierre Soulages. La peinture sèche et craquèle en plusieurs points. Elle fait partie des œuvres antérieures aux tableaux touchés par les fluidifications. © Pedro Ribeiro Simões ; Pierre Soulages

« C'est de la peinture à l'huile. De l'huile traditionnelle siccativée au plomb comme il est d'usage avec un noir d'Ivoire. Donc, un matériau très standard et très classique. » confie-t-elle à France 3. « Si on arrive à comprendre le type de vieillissement de ces matériaux, on peut donner les bonnes prescriptions de conservation pour ces œuvres ». Le blanc de plomb utilisé dans l’enduit de la toile, tout comme la pollution au sulfure présente dans le chauffage due au rude hiver 1959 de Paris sont alors mis en cause. Aussi, ce sont les différents vernissages des œuvres réalisés très rapidement après la réalisation des toiles ou bien le transport par bateau dans une humidité et une obscurité profonde qui sont alors pointés du doigt.

Cependant, les voix divergent. Pourquoi les œuvres réalisées dans des conditions de froid et de pollution semblables ne coulent pas ? Pourquoi ce séchage aurait été plus complexe que d’autres tableaux exposés tout aussi rapidement ? Pauline Hélou mène justement une thèse à ce sujet et de nombreuses recherches seront nécessaires avant de pouvoir donner une réponse à cette manifestation pour le moment inexplicable. Des analyses chimiques sont prévues afin de protéger ces œuvres qui sont, pour le moment, régulièrement examinées et nettoyées.

Pierre Soulages aux côtés de ses œuvres en 2003.© Pierre PERRIN / Getty Images