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LOUIS CHARBONNEAU-LASSAY LA MYSTÉRIEUSE EMBLÉMATIQUE DES PLAIES DU CORPS ET DU CŒUR DE JÉSUS-CHRIST Le Vulnéraire du Christ Trois cent cinquante neuf figures gravées sur bois par l’auteur Trente deux planches hors texte AVANT-PROPOS par PierLuigi ZOCCATELLI I. LA VIE SIMPLE D’UN SYMBOLISTE CHRÉTIEN : LOUIS CHARBONNEAU-LASSAY L ouis Charles Joseph Charbonneau (Louis Charbonneau-Lassay, 1871-1946) naît à Loudun – 2, rue de l’Estrapade – le 18 janvier 1871, fils aîné d’un couple de domestiques, Louis Charbonneau (1837-1915) et Marie-Hélène Chaveneau (1836-1918)1. Apparu la première fois en 1087, le nom des Charbonneau est l’un des plus anciens et des plus illustres de la province du Poitou ; il s’agit d’une lignée qui s’est divisée ensuite en deux branches : celle d’un rang plus élevé et possédant des biens plus considérables en Bas-Poitou, et l’autre en Haut-Poitou. En raison de ces différents sorts, l’armoirie de la famille « d’azur à trois écussons d’argent posés, 2 et 1 » s’enrichit pour la branche du Bas-Poitou – à laquelle Louis Charbonneau appartenait – d’un « semé de fleurs de lys d’or fixé généralement à 10 ou 11 fleurs et l’entourèrent de la devise : “Pro fide scuta et Rege Lilia” »2. Puisque l’armée huguenote du Condé, en 1568, au cours de la marche de Loudun à Thouars, brûla et rasa les propriétés de cette branche, les Charbonneau s’appauvrirent peu à peu et abandonnèrent l’usage du blason. Nonobstant ces vicissitudes, les divers témoignages s’accordent en observant que « cette noblesse ancestrale marquera le caractère de M. Charbonneau d’une empreinte profonde »3. 1 Pour une biographie plus exhaustive du personnage, cf. Stefano SALZANI - PierLuigi ZOCCATELLI, Hermétisme et emblématique du Christ dans la vie et dans l’œuvre de Louis Charbonneau-Lassay (1871-1946), Milan, Archè, 1996. Cf. aussi Jean-Pierre BRACH, « Charbonneau-Lassay, Louis », dans Wouter J. HANEGRAAFF (ed.), en collaboration avec Antoine FAIVRE - Roelof VAN DEN BROEK et J.-P. BRACH, Dictionary of Gnosis and Western Esotericism, 2 vol., Leyde, Brill, 2005, vol. 1, pp. 255-256 ; et P.L. ZOCCATELLI, « Charbonneau-Lassay, Louis », dans Jean SERVIER (ed.), Dictionnaire critique de l’ésotérisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, pp. 287-288. 2 Cf. Louis CHARBONNEAU-LASSAY, Les Anciennes Armoiries d’une Famille de Paysans Loudunais - Les Charbonneau, Loudun, L. Blanchard, 1913, pp. 10-11. 3 Pierre DELAROCHE (1908-1997), M. Louis Charbonneau-Lassay (18 janvier 1871 - 26 décembre 1946). Éloge funèbre prononcé le 19 janvier 1947, à la Séance Publique de la “Société Historique du Pays de Loudunois”, Loudun, 1947, reproduit en fac-similé dans « Livre blanc (noir) du Bestiaire du Christ de Louis Charbonneau-Lassay. Avec quelques documents inédits », Charis. Archives de l’Unicorne, dossier hors série, Milan, Archè, 2006, pp. 23-26 (p. 23). II LE VULNÉRAIRE DU CHRIST Acte de naissance de Louis Charbonneau-Lassay. AVANT-PROPOS III Quoique d’une santé assez délicate, Louis Charbonneau-Lassay se révéla aussitôt particulièrement doué pour les études. Élève du Pensionnat-Externat1 des Frères de l’Instruction Chrétienne de Saint-Gabriel de Loudun – famille religieuse fondée en 1715 par saint LouisMarie Grignion de Monfort (1673-1716), connue d’abord sous le nom de Frères du Saint Esprit –, il fréquenta durant plus de sept ans l’école que la congrégation montfortaine tenait dans les locaux de l’ancien couvent des carmes au Martray. Poussé à l’approfondissement de la foi chrétienne dès sa première jeunesse par AnneFortunée Lamoureux (1809-1898), veuve du chevalier de la Légion d’honneur Louis-Marie Croué (1796-1881) – les deux bienfaiteurs des Frères de Saint-Gabriel à Loudun, et de Louis Charbonneau-Lassay et ses parents (Madame Croué était aussi veuve en premier mariage de l’avocat René Pivard [1794-1841]) –, il mûrira la décision de s’acheminer vers la vie consacrée en entrant comme postulant, le 28 avril 1885, dans la même congrégation des Frères de Saint-Gabriel à la maison mère de Saint-Laurent-sur-Sèvre, en Vendée2. Depuis plusieurs années, il manifestait le désir d’entrer dans la congrégation. Dans ce lieu en retraite, Frère René – c’est le nom religieux de Louis Charbonneau – formera sa culture, se passionnant particulièrement pour l’étude de la patrologie, qui était l’objet d’une attention remarquable et rénovée dans les milieux intellectuels catholiques. Vue de l’ancien monastère des Carmes de Loudun, dessin sur papier à l’encre noire et crayon de couleur, par Louis Charbonneau-Lassay, juin 1918 (Musée Charbonneau-Lassay, Loudun). Il est reçu novice, le 22 novembre 1886, mais il est obligé de quitter le noviciat, le 10 juin 1887, pour cause de santé ; il y rentre de nouveau le 19 octobre 1888 et reprend l’habit le 2 février 1889. Il obtient son brevet en 1890, il prononce ses premiers vœux le 29 août 1891, et 1 En 1884, il y avait 105 élèves, dont 31 pensionnaires et 7 demi-pensionnaires. 2 Registre d’entrée nº 1417 – Province de l’Ouest (France). IV LE VULNÉRAIRE DU CHRIST ses vœux perpétuels le 29 août 1899. Dans la congrégation des Frères de Saint-Gabriel, Louis Charbonneau exerça avec satisfaction l’enseignement pendant près de 10 ans. Disciple dès sa jeunesse de l’illustre savant local Joseph Moreau de La Ronde (18311910), Louis Charbonneau s’adonne à l’étude de l’archéologie et, grâce à l’intérêt du général Léon Segrétain (1832-1908), quelques-uns de ses articles sur la préhistoire du Poitou sont soumis à l’attention des membres de l’importante Société des Antiquaires de l’Ouest, société dont il sera reçu membre le 26 avril 1900 et dont le questeur, l’érudit jésuite Père Camille de la Croix (1831-1911), que Charbonneau remplacera dans la charge en 1912, influera dans une mesure non négligeable sur sa formation de savant. Groupe des Frères du Pensionnat Saint-Gabriel (Saint-Laurent-sur-Sèvre) en 1902-1903. Le Frère René (Louis Charbonneau-Lassay) est au 2e rang à partir du bas de la photo, le 2e à partir de la droite (avec des lunettes). À l’Exposition de 1900, Louis Charbonneau présentera une notable collection de pièces archéologiques, dont un recueil d’ustensiles de silex de l’époque néolithique. En effectuant, avec son ami Geoffroy Guillemot de La Villebiot (1860-1951), des relèvements au-dessous du soubassement d’un grand dolmen-ossuaire de l’époque néolithique, Charbonneau offrira une importante contribution à l’étude de la religiosité celtique, en démontrant que les monuments mégalithiques du type menhir, contrairement aux interprétations courantes, avaient fonction sépulcrale plutôt que celle d’autel sacrificiel. AVANT-PROPOS Premiers vœux du Frère René prononcés le 29 août 1891 (dernière ligne à gauche). V VI LE VULNÉRAIRE DU CHRIST Vœux perpétuels du Frère René prononcés le 29 août 1899 (neuvième signature à partir du haut, colonne de gauche). AVANT-PROPOS VII Ses découvertes d’une réelle valeur dans ce domaine lui valent, dans les années 19031905, une collaboration à la prestigieuse Revue de l’École Nationale d’Anthropologie de Paris ainsi que l’affiliation à la Société archéologique de Nantes. En 1903, en vertu de la loi de 1901, titre III sur les congrégations soumises à autorisation parlementaire, la congrégation des Frères de Saint-Gabriel est dissoute, et le 30 juillet – après 18 ans, dont 12 comme religieux profès – Louis Charbonneau décide de revenir à l’état laïque, comme de nombreux confrères ; il restera cependant « le “servus bonus et fidelis” de son Dieu et de sa Religion et travaillera sans relâche à l’histoire et à l’étude de tous les problèmes qui touchent au catholicisme »1. En raison du sérieux de ses études, la même année lui est accordée la Grand Médaille d’argent de la Société Française d’Archéologie, et le 20 juillet 1904 il est coopté comme membre de l’Ordre Romain des Avocats de Saint-Pierre. À l’apogée de sa carrière d’archéologue, cependant, toujours en 1904 il publie un article où, comme il le dit lui-même, « en sortant pour la première fois du monde préhistorique et de l’étude des armes je me suis échappé de mon habituel terrain »2 pour affronter et développer des thèmes relatifs à l’emblématique et à l’hermétisme. En 1907, Louis Charbonneau est atteint d’une grave forme de laryngite, qui l’empêcha pour le reste de sa vie de tenir de longs discours, et il est donc contraint à s’éloigner du monde de l’enseignement pour se consacrer totalement à l’activité scientifique, dont les fruits se manifesteront par diverses publications, parmi lesquelles plus de soixante-dix articles de sujets variés – préhistoire, archéologie celtique et gallo-romaine, numismatique, héraldique, folklore et légende – parus entre 1901 et 1925 dans la Revue du Bas-Poitou, dont il sera aussi le secrétaire à partir de 1913. Pendant la période précédant la Grande Guerre, Louis Charbonneau – conservateur de trois musées archéologiques, correspondant de l’Académie des Beaux-Arts, et collaborateur du prestigieux Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie3 des moines bénédictins Fernand Cabrol (1855-1937) et Henri Leclercq (1869-1945) – complètera le travail qui le consacrera définitivement au niveau académique par le titre d’Officier d’Académie, une reconnaissance qu’il n’obtiendra toutefois d’une façon officielle qu’en 1931 : Les Châteaux de Loudun4, un volume de plus de 500 pages où il organise et développe de façon définitive le matériel recueilli par son maître Moreau de la Ronde dans les années 1858-1870. 1 P. DELAROCHE, doc. cit., p. 24. 2 L. CHARBONNEAU-LASSAY, L’Affique de la Grève. Notes pour servir a l’histoire de la Cabale en Vendée, Vannes, L. Blanchard, 1904, p. 11. 3 Cf. IDEM, « Loudun », Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie, Tome IX, coll. 2542-2553, Paris, Letouzey et Ané, 1930. 4 Cf. IDEM, Les Châteaux de Loudun, d’après les fouilles archéologiques de M. Moreau de la Ronde, Loudun, L. Blanchard, 1915. VIII LE VULNÉRAIRE DU CHRIST À la même époque il commencera son activité de graveur, en inaugurant ainsi son habitude particulièrement originale d’associer, à toute observation, des images par lui-même dessinées et imprimées. Pour l’artiste Louis Charbonneau-Lassay, amoureux des images, elles sont « de merveilleux aliments de vie spirituelle »1. Par les signes précis de la gouge, il trace des milliers d’enseignes héraldiques, images sacrées, symboles géométriques, descriptions d’objets, ex libris pour amis et collègues, paysages de ses terres et petits portraits qu’il imprime en se servant d’un pressoir de la Renaissance, en renouvelant ainsi les fastes de Théophraste Renaudot (1586-1653), son concitoyen et auteur de la première Gazette de France. L’activité artistique de Charbonneau serait témoignée aussi par le carton qu’il aurait dessiné pour le vitrail réalisé, en 1893, de la chapelle de Notre-Dame de Recouvrance dans l’église du Martray à Loudun, et dont il écrit un article pour Regnabit, sans en spécifier cependant l’attribution2. Les biographes de Charbonneau-Lassay ont souvent donné comme un élément important de la vie du personnage la demeure – route de Poitiers, qu’il appelait « le logis du quartier », ou bien aussi « le vieux logis » – qui deviendra l’habitat de sa permanence loudunaise. Cette demeure, ancienne commanderie de l’Ordre des Chevaliers de Malte, conservait presque intacte l’austère structure d’origine : l’ample salon décoré par la cheminée monumentale avec l’effigie de la Croix de Malte, le jardin de type claustral, les fenêtres aux arcs gothiques. Charbonneau-Lassay, qui fut sensible au charme de cette demeure inaccoutumée, recueillit durant sa vie une documentation considérable sur les Chevaliers de Malte, parmi lesquels il comptait d’illustres ancêtres. Cependant, ces matériaux ne prirent jamais la forme d’une étude spécifique sinon dans un manuscrit sur quelques marques corporatives des institutions féodales et religieuses de la région3. Au cours des années, Charbonneau accumulera dans les pièces de sa demeure « une collection inestimable d’armes, de bijoux, de monnaies, de l’époque gallo-romaine et du Moyen-Âge » rassemblée « au cours de ses pérégrinations dans les villes et les campagnes, à l’occasion de ses visites dans les châteaux et manoirs de son Poitou natal, de la Vendée, de l’Anjou et des confins de la Touraine »4, créant une sorte de lieu de rencontre de l’histoire humaine, qui impressionnera ses visiteurs. Selon ses propres mot, l’objet ancien « nous apprend beaucoup sur l’époque qui l’a vu fondre ou ciseler et nous ne pouvons que gagner à bien connaître l’habileté, le sens artistique des artisans 1 IDEM, Le Bestiaire du Christ. La mystérieuse emblématique de Jésus-Christ, Bruges, Desclée de Brouwer, 1940, réimpression anastatique, Milan, L. J. Toth, 1974, p. 7 (nouvelle réimpression, Milan, Archè, 1975 ; nouvelle édition, Paris, Albin Michel, 2006). 2 Cf. IDEM, « L’Iconographie ancienne du Cœur de Jésus à Loudun (Vienne) », Regnabit, 5e année, nº 2, juillet 1925, pp. 95-103. 3 Cf. IDEM, Héraldique Loudunaise, La Roche Rigault (Loudun), Presses Sainte-Radegonde, 1996. 4 Georges TAMOS (Georges-Auguste Thomas, 1884-1966), « Notice introductive sur Louis CharbonneauLassay », dans L. CHARBONNEAU-LASSAY, L’ésotérisme de quelques symboles géométriques chrétiens, Paris, Éditions Traditionnelles, 1985, p. 5. AVANT-PROPOS IX d’autrefois et les goûts religieux ou profanes de ceux qui nous ont précédés dans la vie »1 ; observation qui nous fournit un paramètre précieux pour évaluer son intérêt pour l’antiquité dans l’optique d’un authentique traditionalisme : la respectueuse conservation des grandes œuvres du passé et une religieuse charité pour « ceux qui nous ont précédés dans la vie ». Parmi les personnes qui fréquenteront la demeure de Louis Charbonneau-Lassay dans les années de son séjour à Loudun, nous trouvons des noms importants dans la vie intellectuelle de l’époque : le Père Félix Anizan (1878-1944), Olivier de Fremond (1854-1940), Georges-Auguste Thomas, Marcel Clavelle (1905-1986), Luc Benoist (1893-1980), ainsi qu’un personnage qui restera l’une des énigmes que l’on trouve dans sa vie, Saï Taki Movi. De lui Charbonneau écrivit quelques lignes, en le définissant comme « un docte asiatique », qui lui aurait fourni quelques explications concernant le symbolisme du svastika, « gardé en certains cénacles très fermés de la Mongolie et des régions voisines »2. De 1921 à 1929 dans la revue Regnabit, de 1929 à 1939 dans Le Rayonnement Intellectuel, et en même temps par quelques études dans Atlantis, Le Voile d’Isis et Études Traditionnelles, Charbonneau aura le moyen de concentrer ses efforts sur la partie plus importante et profonde de son œuvre, l’emblématique christique, qui ne sera complétée que par la réalisation et la publication du Bestiaire du Christ3, une œuvre monumentale qui sera le grand héritage de sa vie intellectuelle. Avec ces mots Charbonneau commente en 1941 la publication de son travail : « Je vais à la gare prendre possession de la caisse envoyée par les éditeurs Desclée de Brouwer et qui contient les 20 exemplaires du Bestiaire du Christ qui me sont attribués. Enfin ! Cette maison a reçu mon manuscrit le 20 novembre 1934. Le travail ne comprend qu’un volume au lieu de deux ce qui fait qu’il est énorme ; le tirage est magnifique ; je n’aurais pas cru que mes pauvres bois gravés auraient pu rendre si bien. Je suis heureux parce qu’il restera ainsi quelque chose qui travaillera pour moi quand je ne serai plus de ce monde »4. 1 L. CHARBONNEAU-LASSAY, Quelques bagues anciennes du Bas-Poitou, Fontenay-Le-Comte, Henry Lussaud, 1914, p. 11. 2 IDEM, « Les graffites symboliques de l’ancien monastère des Carmes, à Loudun », Atlantis, 8e année, nº 58, mars-avril 1935, pp. 129-134 (p. 131). Le mystérieux personnage Saï Taki Movi a été identifié par Éric PHALIPPOU (« Le roi du monde et le docte asiatique : histoire d’un “malentendu productif” », Politica Hermetica, nº 17, 2003, pp. 171-216) en la personne d’un Parsi : Jivanji Jamshedji Modi (1854-1933). En désaccord avec cette identification de Phalippou, voir S. SALZANI, Luigi Valli e l’esoterismo di Dante, Rimini, Il Cerchio, 2014, p. 376. 3 Cf. J.-P. BRACH, « Louis Charbonneau-Lassay et le Bestiaire du Christ », Société Historique du Pays de Loudunois, nº 1, décembre 1998, pp. 46-51 ; et S. SALZANI, « “À la recherche du livre perdu”. La fortuna dell’opera di Louis Charbonneau-Lassay sul simbolismo cristiano », Accademie & Biblioteche d’Italia, LXXII, nº 1-2, janvier-juin 2004, pp. 5-17. 4 L. CHARBONNEAU-LASSAY, Journal [17 mai 1931 - 10 octobre 1946, inédit], 9 janvier 1941. Quelque temps après le début de la diffusion de l’œuvre, l’incendie de la maison de l’éditeur Desclée de Brouwer provoqua la destruction d’une bonne partie du tirage. Voici les mots découragés de Charbonneau : « J’apprends incidemment que la très importante maison de mon éditeur, Desclée de Brouwer, à Bruges est complètement détruite par le feu... Si le désastre est aussi complet qu’on le dit, que reste-t-il de l’édition de mon gros ouvrage le Bestiaire du Christ ? De la cendre sans doute. C’est un vrai malheur pour moi » (Journal, 6 novembre 1943). LE VULNÉRAIRE DU CHRIST X Pour mieux comprendre les étapes de l’itinéraire d’approfondissement culturel et spirituel qui caractérisa la vie de Louis Charbonneau-Lassay il sera opportun de nous arrêter suffisamment sur le milieu qui caractérisa les revues où le savant fournit les premiers résultats concrets et mûrs de ses recherches sur l’emblématique christique en particulier et sur le symbolisme en général. La collaboration qui lia Charbonneau à Regnabit d’abord et au Rayonnement Intellectuel plus tard est une collaboration féconde : dans Regnabit seulement, en l’espace d’un peu plus de huit ans, soixante-seize articles furent publiés1. Regnabit (Revue universelle du Sacré-Cœur), paraît la première fois en juin 1921, sur l’initiative du Père Félix Anizan, oblat de Marie Immaculée, apôtre de la dévotion et de la doctrine du SacréCœur2, auteur d’innombrables ouvrages sur ce sujet, persuadé que « le Sacré-Cœur n’a pas dans la vie chrétienne, dans la pensée catholique, la place qui lui revient »3, juge nécessaire de fonder une revue scientifique traitant ce thème à tous point de vue : dogmatique, moral, ascétique, mystique, liturgique, artistique et historique. Il réalisa son projet avec la collaboration du centre de dévotion au Sacré-Cœur de Paray-leMonial. Parmi les premiers collaborateurs d’Anizan se rangent le jésuite Augustin Hamon (18601939), le bénédictin dom Gaston Démaret (1864-1955) de l’abbaye de Solesmes, le confrère oblat de Marie Immaculée Émile Hoffet (1873-1946), Georges-Gabriel de Noaillat (1874-1942) – secrétaire du Centre de Paray-le-Monial –, ainsi que le chanoine Léon Cristiani (1879-1971). La revue paraît sous les auspices d’un comité patronal composé par le cardinal Louis-Ernest Dubois (18561929), archevêque de Paris, et quinze autres prélats de tous les continents, parmi lesquels nous trouvons dom Benoît Gariador (1859-1926), Abbé des Bénédictins français de Jérusalem. L’approbation ecclésiale de la revue sera ensuite confirmée le 10 mars 1924 par une bénédiction apostolique spéciale du Pape envoyée à la rédaction de Regnabit de la part du Secrétaire d’État, le cardinal Pietro Gasparri (1852-1934)4. La collaboration à Regnabit de Louis Charbonneau-Lassay, demandée par le cardinal Dubois, commence en janvier 1922, après qu’il eut fait connaissance avec Félix Anizan et l’équipe de la revue au congrès eucharistique national qui s’était tenu en juin 1921 à Paray-le-Monial. Le premier article de Louis Charbonneau5 aura pour objet quelques graffiti retrouvés dans la forte1 Cf. P.L. ZOCCATELLI, « De Regnabit au Bestiaire du Christ. L’itinéraire intellectuel d’un symboliste chrétien : Louis Charbonneau-Lassay (1871-1946) », Société Historique du Pays de Loudunois, nº 1, décembre 1998, pp. 34-45. 2 Cf. Jean-Pierre LAURANT, « Félix Anizan, o.m.i. (1878-1944). Son projet anthropologique et théologique autour du Cœur de Jésus », dans Jean-Louis BRUGUÈS - Bernard PEYROUS (eds.), Pour une civilisation du cœur. Vers la glaciation ou le réchauffement du monde ?, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2000, pp. 143-148. 3 Félix ANIZAN, « Un an après », Regnabit, 1re année, nº 12, mai 1922, p. 530. 4 Cf. Regnabit, 3e année, nº 12, mai 1924, pp. 441-442. 5 Cf. L. CHARBONNEAU-LASSAY, « Le Sacré-Cœur du Donjon de Chinon, attribué aux Chevaliers du Temple », Regnabit, 1re année, nº 8, janvier 1922, pp. 153-158, et nº 10, mars 1922, pp. 371-379. L’étude sera ensuite augmentée par l’auteur et publiée en brochure : cf. IDEM, Le Cœur rayonnant du donjon de Chinon attribué aux Templiers - avec trente bois originaux gravés au canif par l’auteur, Fontenay-Le-Comte, Secrétariat des Œuvres du Sacré-Cœur / Beaux-Livres, 1922 (réimpression anastatique Milan, Archè, 1975). AVANT-PROPOS XI resse de Chinon et attribués aux templiers emprisonnés ; dans la même année 1922, suivront deux autres études1, importantes pour pouvoir rétrodater l’iconographie du Sacré-Cœur, généralement fixée à partir du quinzième siècle. Charbonneau continuera ses publications fort appréciées sur des thèmes concernant tour à tour le symbolisme du Sacré-Cœur sous ses aspects historiques, archéologiques, mysticodévotionnels, en étudiant aussi leurs implications sur le plan cosmologique, le tout appuyé, comme d’habitude, sur une très exacte documentation iconographique par lui-même reproduite en gravure ; dans les dernières années de publication apparaîtront en outre dans la revue d’intéressantes études de numismatique aptes à situer historiquement et doctrinalement la dévotion à la Royauté sociale de Jésus-Christ2. Le 22 janvier 1925, le Père Anizan, Charbonneau-Lassay et d’autres collaborateurs de la revue fondent une association dénommée Société du Rayonnement Intellectuel du SacréCœur. Dans l’appel du programme lancé dans Regnabit, l’association s’adresse « aux écrivains et aux artistes », en exposant en abrégé ses objectifs : « Après Bossuet qui voyait dans le Cœur du Christ “l’abrégé de tous les mystères du christianisme” [...] nous pensons que la Révélation du Sacré-Cœur est toute l’idée chrétienne manifestée en son point essentiel [...] Puisque le symbole est essentiellement une aide à la pensée – puisqu’il la fixe et puisqu’il l’entraîne – c’est à la pensée que s’adresse le Christ en se montrant dans un symbole réel qui, même aux peuples antiques, est apparu comme une source d’inspiration, comme un foyer de lumière »3. À une époque que Marie-France James dit « à la dérive religieuse, intellectuelle et sociale », mais où cependant divers milieux avaient le désir « de ramener l’ordre dans le chaos, en œuvrant pour un nouveau règne affirmé du spirituel sur le temporel ou, plus schématiquement, de l’esprit sur la matière »4, les intérêts et les efforts de la Société du Rayonnement Intellectuel firent qu’elle assimila des éléments ou des doctrines qui n’étaient concordants qu’en apparence. On pourrait situer de cette façon la collaboration offerte par René Guénon (1886-1951) dans les années 1925-1927 à Regnabit5. Durant son énigmatique activité de collaborateur à la revue La France anti-maçonnique, Guénon avait fait connaissance avec Olivier de Fremond, 1 Cf. IDEM, « Le petit sceau d’Estème Couret (XIVe siècle) », Regnabit, 1re année, nº 9, février 1922, pp. 264-267 ; et IDEM, « Moule à Hostie du XIVe siècle au Musée Episcopal de Vich (Espagne) », Regnabit, 2e année, nº 4, septembre 1922, pp. 280-284. 2 En Italie, la redécouverte de Charbonneau-Lassay a conduit à la publication de son opera omnia sur le symbolisme, dont la direction éditoriale a été confiée au signataire de ces lignes. Cf. IDEM, Il Bestiario del Cristo. La misteriosa emblematica di Gesù Cristo, 2 vols., Rome, Arkeios, 1994 ; IDEM, Il Giardino del Cristo ferito. Il Vulnerario e il Florario del Cristo, Rome, Arkeios, 1995 ; IDEM, Le Pietre Misteriose del Cristo, Rome, Arkeios, 1997 ; IDEM, Simboli del Cuore di Cristo, Rome, Arkeios, 2003. 3 « Aux écrivains et aux artistes [par] la Société du Rayonnement Intellectuel », Regnabit, 5e année, nº 8, janvier 1926, pp. 102-104. 4 Marie-France JAMES, Ésotérisme et christianisme autour de René Guénon, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1981, p. 247. 5 Cf. René GUÉNON, Écrits pour Regnabit. Recueil posthume établi, présenté et annoté par PierLuigi Zoccatelli, Milan - Turin, Archè - Nino Aragno Editore, 1999. XII LE VULNÉRAIRE DU CHRIST membre de la Société des Antiquaires de l’Ouest, grâce auquel Charbonneau-Lassay entra en contact avec Guénon, sur la base du commun intérêt pour le symbolisme et de la commune – ou au moins apparemment telle – qualité de militants catholiques. Par le truchement de Charbonneau, Guénon devient collaborateur de la revue. De même que Louis Charbonneau deviendra la référence de Guénon en ce qui concerne le symbolisme chrétien, de même celui-ci, par « son incontestable autorité » en la matière, contribuera dans une certaine mesure à former en Charbonneau la conviction qu’« il serait puéril de contester l’existence et le rôle important de l’hermétique chrétienne au moyen-âge »1. Même après l’éloignement de Guénon de la collaboration à Regnabit, demandée par « certains “milieux néo-scholastiques” »2 en raison des thèses doctrinalement à tout le moins hardies implicites dans ses exposés, les deux savants continueront leur rapport épistolaire et à se citer mutuellement dans leurs ouvrages respectifs. Même si les termes de la question sur le rapport entre les deux personnages sont presque incontestablement à se circonscrire à ce que nous venons de décrire, une vulgata souvent peu renseignée, sinon malicieuse, a toujours subordonné la figure de Charbonneau à celle de Guénon, d’où l’œuvre de Charbonneau aurait seulement une valeur comme confirmation ou, à tout le moins, comme contribution aux thèses de Guénon3. Fait partie de cette optique la légende selon laquelle Charbonneau aurait conduit une sorte de double vie, en remplissant le rôle public de vulgarisateur des thèses de Guénon dans la sphère des milieux catholiques rétrogrades de l’époque, et en même temps en menant une vie initiatique très réservée non seulement dans les organisations « guénoniennes », mais aussi dans d’autres plus éloignées encore de l’orthodoxie catholique4. Néanmoins, à l’état des pièces au dossier, Louis Charbon1 L. CHARBONNEAU-LASSAY, « L’Iconographie ancienne du Cœur de Jésus. À propos de deux livres récents », Re- gnabit, 5e année, nº 6, novembre 1925, pp. 384-391 (p. 390). 2 R. GUÉNON, « Le grain de sénevé », Études Traditionnelles, 50e année, nº 413, janv.-fév. 1949, pp. 26-35 (p. 26). 3 Cf. P.L. ZOCCATELLI, Le Lièvre qui rumine. Autour de René Guénon, Louis Charbonneau-Lassay et la Fraternité du Paraclet. Avec des documents inédits, Milan, Archè, 1999. Cf. aussi J.-P. BRACH, « Christianisme et “Tradition primordiale” dans les articles rédigés par René Guénon pour la revue catholique Regnabit, août-septembre 1925 – mai 1927 », dans Philippe FAURE (ed.), René Guénon. L’appel de la sagesse primordiale, Paris, Cerf, 2015, pp. 299336. 4 Pour une discussion sur certaines organisations chrétiennes fermées et groupements hermético-mystiques dont l’enseignement avait permis à Charbonneau-Lassay de mieux comprendre la signification de certains symboles chrétiens, et dont il faisait partie, cf. S. SALZANI - P.L. ZOCCATELLI, op. cit., pp. 61-90 ; J.-P. BRACH - P.L. ZOCCATELLI, « Courants renaissants de réforme spirituelle et leurs incidences », Politica Hermetica, nº 11, 1997, pp. 31-46 ; P.L. ZOCCATELLI, Le Lièvre qui rumine. Autour de René Guénon, Louis Charbonneau-Lassay et la Fraternité du Paraclet. Avec des documents inédits, op. cit., pp. 27-35 et pp. 77-146. Très utile à l’étude de la matière : Jérôme ROUSSE-LACORDAIRE, Une fraternité à l’honneur du Saint Esprit. Le Liber articulorum des prêtres de Lodève au début du XVIe siècle, Lavis (Trente), La Finestra Editrice, 2011 ; du même auteur, cf. aussi « “Une mesmes paroles a deux entendements”. Langue mystique et langue ésotérique dans le Mirouer de Marguerite Porete », dans Matilde DE PASQUALE - Angelo IACOVELLA (eds.), La « santa » affabulazione. I linguaggi della mistica in Oriente e in Occidente, Lavis (Trente), La Finestra Editrice, 2012, pp. 283-303. AVANT-PROPOS XIII neau-Lassay doit être considéré comme un catholique pleinement orthodoxe tant dans sa vie publique que dans sa vie privée. Outre ces histoires, à tout le moins l’« affaire » Guénon – laquelle concentra sur Regnabit l’attention de certains revues antisectes – provoqua probablement aussi un aggravement des contrastes que le Père Anizan vivait à l’intérieur de sa congrégation. La situation eut des développements toujours plus négatifs jusqu’à causer la cessation de la revue en 1929. Ayant remplacé Paul Thomas à la direction de la Société du Rayonnement Intellectuel, Charbonneau deviendra également le directeur de la revue Le Rayonnement Intellectuel, qui représentera la partie la plus intellectuelle de Regnabit. La nouvelle publication apparaîtra la première fois dans le second semestre de 1929. Dans les mêmes années, Charbonneau s’occupe de transmettre son amour pour sa terre natale, qu’il décrit emphatiquement comme une « terre privilégiée entre toutes déroulant sous le ciel qui l’a si profusément comblée de ses bienfaits »1, par la constitution de cercles d’étudiants comme celui dédié au héros Jean de la Jaille (1324-1405) qui devra lentement aboutir, en 1937, à la fondation de la Société Historique du Pays de Loudunois, dont il sera le président et qui existe encore aujourd’hui. Correspondant des Beaux-Arts à partir de 1928, il s’occupera de faire classifier et restaurer de nombreux édifices et monuments de sa région. Déjà en 1945 il dote Loudun de sa collection d’objets d’archéologie ou concernant l’histoire du lieu, legs qui quelque temps après la disparition de Charbonneau sera à l’origine d’un petit musée. Le 23 avril 1929, à un âge déjà avancé, il épouse à Orly Hélène-Marie-Albertine Ribière (1877-1945), qui mourra le 18 janvier 1945 en le laissant, après seize ans seulement, dans son habituelle solitude. Pendant la guerre, jusqu’en 1944, sa maison est occupée par des soldats alleLouis Charbonneau-Lassay avec son épouse mands qui, peut-être frappés par l’humilité Hélène Ribière. Archives privées. et l’autorité du savant désormais âgé, traiteront sa collection avec un respect peu courant. D’ailleurs, l’inscription sur l’huisserie de la porte – gravée par Charbonneau lui-même dans le marbre – évoquait cette spirituelle hospitalité : Benedictio Dei Maneat Super Ingredientes Et Bonitas Eius Protega Egrediente. 1 L. CHARBONNEAU-LASSAY, La tour carrée de l’ancienne forteresse de Loudun, Loudun, Vve Blanchard, 1934, p. 24. XIV LE VULNÉRAIRE DU CHRIST Cheminée monumentale avec l’effigie de la Croix de Malte, dans l’ancien logis de Charbonneau-Lassay, à Loudun (archives Lagèze-Dvořák). Inscription sur l’huisserie de la porte d’entrée du vieux logis de Charbonneau-Lassay à Loudun, gravée par lui-même dans le marbre (archives Lagèze-Dvořák). AVANT-PROPOS XV Louis Charbonneau-Lassay, d’après le témoignage de son disciple et collaborateur Pierre Delaroche, qui avec lui fonda la Société Historique du Pays de Loudunois, et qui après sa disparition en prit la présidence, « n’était pas un de ces vieux érudits qui accumulent les documents en un rassemblement stérile et les conserve pour eux avec un soin jaloux » mais « avec une exquise politesse et la plus charmante amabilité, il recevait ceux qui venant frapper à sa porte l’arrachaient à ses travaux et allaient lui faire perdre un temps précieux. Il leur faisait les honneurs de sa maison, passait des heures à leur montrer les pièces de sa collection, répondait avec la plus parfaite courtoisie aux questions qui lui étaient posées »1. À la fin de sa vie, atteint par une incurable maladie glandulaire, Charbonneau consacrera le reste de son énergie à tenter de compléter son œuvre. Cependant, le temps lui manqua et ses études importantes d’emblématique christique – le Floraire et le Lapidaire, en particulier – restèrent à l’état de notes ou de fiches2, ainsi que – entre autres – des écrits d’histoire locale, une série de légendes sur sainte Radegonde (c. 519-587), reine et moniale, et un long article sur le Saint Graal pour les Cahiers du Sud. Il nous semble important, pour rappeler la profonde foi chrétienne qui anima Charbonneau, de clore ce bref excursus sur sa vie par une prière que lui-même composa et qui peutêtre, plus que tout autre témoignage, peut faire état de sa vie intérieure : « Ô Cœur, qui êtes le centre de l’univers, le foyer de l’Infini, et notre Rédempteur, ayez pitié de la poussière d’atomes que nous sommes, soyez notre Lumière et notre Vie maintenant et à l’heure où nous entrerons dans la vraie Vie par la porte enténébrée de la Mort »3. Le 26 décembre 1946 Louis Charbonneau-Lassay passa la « porte enténébrée ». « Voulant finir comme un vrai Chevalier, ce qui avait toujours été l’idéal de sa vie, il s’est fait administrer les derniers sacrements debout malgré sa faiblesse extrême, orné du bijou de Maitrise que lui avait remis le Chanoine [Théophile] Barbot [1841-1927] et qui était passé de mains en mains à travers l’Estoile Internelle »4. Ses dernières paroles furent un remerciement aux personnes – en particulier, aux deux conjoints qui l’avaient soigné et qui avaient déjà soigné sa femme : Jean Lagèze (1912-1986) et son épouse Pasqua Carrara (1917-2007), dite Pascaline – qui l’assistèrent dans les douloureuses semaines finales de son séjour sur terre. 1 P. DELAROCHE, doc. cit., p. 26. 2 Toutefois, deux manuscrits – Le Vulnéraire du Christ et Les merveilleuses légendes d’amour du Poitou – seront livrés par Charbonneau à l’éditeur Desclée de Brouwer, en 1945. Quatorze ans plus tard, en 1959, l’éditeur retournera ces deux manuscrits aux ayants-droit, « car nous ne voyons pas la possibilité d’en entreprendre la publication » (lettre de la maison Desclée de Brouwer, 10 février 1959, inédite). Après cela, le manuscrit du Vulnéraire a été soustrait aux propriétaires légitimes dans les années 1960, et on en a jusqu’à présent perdu la trace (lettre de l’héritier testamentaire de L. Charbonneau-Lassay à l’auteur, 29 octobre 1994). 3 L. CHARBONNEAU-LASSAY, « L’Iconographie ancienne du Cœur de Jésus. Le Marbre astronomique de la Chartreuse de Saint-Denis-d’Orques », Regnabit, 3e année, nº 9, février 1924, pp. 211-224 (p. 224). 4 Lettre de G. TAMOS à R. Guénon, 1er mars 1947, inédite (Archives privées de la Fondation René Guénon). XVI LE VULNÉRAIRE DU CHRIST Lettre complète de Louis Charbonneau-Lassay à René Nelli (1906-1982), du 19 septembre 1946, discutant du projet d’article sur le Saint Graal prévu pour Les Cahiers du Sud. AVANT-PROPOS XVII XVIII LE VULNÉRAIRE DU CHRIST AVANT-PROPOS XIX LE VULNÉRAIRE DU CHRIST XX II. LA « PÉRIODE GABRIÉLISTE » DANS LA VIE DE LOUIS CHARBONNEAU-LASSAY1 1. Postes occupés – Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), 28 avril 1885. Ancien élève de l’école des Frères de l’Instruction Chrétienne de Saint-Gabriel de Loudun durant plus de sept ans, il devient postulant. – Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), 22 novembre 1886. Il est reçu novice. Le 10 juin 1887, il est obligé de quitter le noviciat, pour cause de santé. Il y rentre de nouveau le 19 octobre 1888 et reprend l’habit le 2 février 1889. Son maître des novices, Frère Martial (Jean Papon, 1850-1922), futur supérieur général – le plus long généralat de l’histoire de la congrégation, de 1898 à 1922 –, dit de lui qu’il « est intelligent. A des moyens surtout pour le français et un goût très prononcé pour les antiquités, voire même pour les antiquailles. Y devient habile… Le surnaturel dans l’action paraît faire défaut au moins en partie. Ce jeune frère a passé par des épreuves dans lesquelles il a montré du courage et de la persévérance dans sa sainte vocation. C’est pour cela qu’on a fini par l’admettre à la profession ». Tout en étant novice, il est placé dans la communauté de Saint-Amand-sur-Sèvre en septembre 1890, et il y fait la classe. Son noviciat aura duré cinq ans. – Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres), 22 septembre 1890, adjoint. En 1891, année de son engagement militaire, il est « ajourné » puis « réformé » lors du Conseil de Révision, sans doute à cause de sa santé fragile. – Gesté (Maine-et-Loire), 7 septembre 1893, adjoint. En avril 1894, il est atteint d’une pleurésie et remplacé momentanément dans sa classe par un autre frère, mais il reste sur place. – Coulonges-sur-l’Autize (Deux-Sèvres), 3 janvier 1895, adjoint. Dans un rapport de l’inspecteur du 18 mars 1895, on note qu’à Coulonges-sur-l’Autize, « sous la direction du frère Odolf [Henri Pasquet, 1844-1920], il y a un adjoint : M. Charbonneau (Fr. René) qui est un maître instruit et zélé ». – Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres), 8 septembre 1895, adjoint. Le Frère Constantin (Louis-Henri Jacquet, 1867-1943) présente ainsi la communauté de Saint-Amand-sur-Sèvre : « Le frère Léon [Michel Véron, 1869-1930] était directeur avec de jeunes adjoints : Mr. Charbonneau, [Pierre] Portoleau [Frère Clovis-Joseph, 1874-?], [Jean-Louis] Milcent [Frère Louis-Marie, 1871-1926]. Je n’en finirais pas si je voulais conter tout ce que firent d’entreprises ces 4 frères. Frère Léon, cœur d’or, religieux accompli, sans prendre d’initiatives personnelles, laissait à ses adjoints toutes libertés, et alors furent fondées la musique, les soirées, pendant que le frère René faisait sur le pays les recherches historiques et préhistoriques. C’était une des mai1 Je tiens à exprimer mes plus sincères remerciements à Frère Bernard Guesdon, Archiviste des Frères de Saint- Gabriel, pour m’avoir permis l’accès aux documents tirés du dossier du Frère René (Louis Charbonneau-Lassay), à Rome, no 521.351. AVANT-PROPOS XXI sons les plus actives de la congrégation. Frère Léon dirigeait admirablement ses adjoints et la jeunesse. Aussi quand vinrent les heures tragiques des Inventaires, tous les élèves des frères se montrèrent héroïques. Quel bien n’ont pas fait à Saint-Amand frère Léon et ses frères ? ». Comme d’autres confrères, pendant ses vacances, Frère Constantin a aidé le Frère René dans ses recherches et ses fouilles. Voici le portrait très précis et chaleureux qu’il fait du Frère René, dans ses souvenirs sur la communauté des Frères à Saint-Amand-sur-Sèvre : « Fr. René. Petit, énergique, bon religieux, il fut pendant 10 ans l’auxiliaire du frère Léon qui ne put que l’admirer. Savant de 1er ordre dans sa spécialité d’archéologie, Fr. René pouvait défier tous les savants de province. Le bon Dieu lui avait donné une intuition merveilleuse. Il devinait sans avoir vu. Et quand il vous disait “À tel endroit, il y a des tombes”, vous pouviez emporter pioche et pelle, et vous découvriez un nid de tombes gauloises. Il avait un musée unique de pierres. Il établit un tableau de 39 métairies gauloises à Saint-Amand, dont plusieurs bâties sur pilotis. Il avait le graphique de 19 châteaux gaulois, tous bâtis sur le même plan. Il avait dans ses cartons 7 souterrains-refuges des Gaulois, des polissoirs de toutes espèces, choses très rares. Exubérant, mais sûr de lui-même, il affirmait des choses que le commun des mortels ne pouvait saisir. Sorti de la communauté, il devint rédacteur en chef de la Revue du Bas-Poitou et conservateur des musées de Poitiers ». – Dans une monographie écrite en 1900 par les Frères de Loudun sur leur établissement, il est fait mention des anciens élèves de l’école devenus frères, parmi lesquels on cite : « Louis Charbonneau, dit Frère René […], est adjoint à l’école chrétienne de Saint-Amand-sur-Sèvre. Dans les courts instants de loisir que lui laissent ses heures de classe, ce jeune et intelligent religieux s’occupe activement et avec succès [de fouilles] archéologiques très appréciés de gens experts dans l’art ». – Le 26 juin 1900, le Frère Jourdain (Edmond Nouelle, 1861-?), visiteur religieux et pédagogique, fait son rapport sur les frères de Saint-Amand-sur-Sèvre. Il donne des détails précieux sur le Frère René enseignant : il voit en lui un vrai pédagogue pour l’éducation religieuse et humaine de ses élèves, même s’il met quelques bémols, spécialement en ce qui concerne l’écriture des élèves, car le Frère René avait une mauvaise écriture : « Nos frères de SaintAmand vont bien ; ils sont pieux et dévoués. Le frère Directeur n’a pas beaucoup de discipline en classe ni sur la cour. Le frère René au contraire tient très bien ses élèves et ne les punit presque jamais. J’ai admiré la piété avec laquelle les prières sont récitées dans sa classe. Par contre la note pédagogique sera moins brillante si on examine le travail des élèves : en général, mauvaise écriture, devoirs de français beaucoup trop longs. Aucun problème écrit sur le cahier de devoirs. Les deux autres frères s’entendent assez bien ; leur classe ne va pas mal ». – Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), 1er février 1901, professeur. – Pendant les deux années qu’il va passer à Saint-Laurent-sur-Sèvre, de 1901 à 1903, le Frère René va publier 8 articles scientifiques ou historiques dans la revue trimestrielle L’Écho de Saint-Gabriel, organe du Pensionnat Saint-Gabriel et de ses anciens élèves : « Parmi nos Pierres et nos Ruines » (7e année, nº 24, mars 1901, pp. 40-42) ; « Parmi nos Pierres et nos Ruines. À propos d’une Promenade des Moyens – Notes d’histoire locale » (7e année, nº 27, décembre 1901, pp. 28-30) ; « Encore nos Pierres et nos Ruines. Les pierres à gravures de Saint-Aubin, près Châtillon-sur-Sèvre » (7e année, nº 27, décembre 1901, pp. 30-32) ; « Note de XXII LE VULNÉRAIRE DU CHRIST Géologie Saint-Laurentaise » (7e année, nº 28, mars 1902, pp. 30-32) ; « La Géologie Légendaire en pays Choletais : Pourquoi la Moine est-elle si petite ? » (8e année, nº 29, juin 1902, pp. 23-24) ; « Les Haches de Bronze des Essarts (Vendée) » (8e année, nº 30, août 1902, pp. 3233) ; « Musée Saint-Gabriel » (8e année, nº 31, décembre 1902, pp. 33-34) ; « Les Souterrains – Refuges Gaulois du Bocage Vendéen » (8e année, nº 32, mars 1903, pp. 32-34). En 1902-1903, classe du Frère René (ici, à gauche), professeur au Pensionnat Saint-Gabriel de Saint-Laurent-sur-Sèvre. AVANT-PROPOS XXIII 2. Lettres du Frère René à Frère Martial, supérieur général, son ancien maître des novices Saint-Amand-sur-Sèvre, le 8 mai 1900 Révérend Frère Supérieur, J’ai l’honneur de vous informer de mon élection comme Membre Titulaire de la Société Régionale des Antiquaires de l’Ouest, faite à Poitiers en la séance du 26 avril. J’avais été présenté comme récipiendaire à la précédente séance du 26 mars. Mes trois parrains étaient M.M. Alph. Barbier, Trésorier honoraire de la Société, ancien VicePrésident du Conseil de Préfecture de la Vienne ; de la Narsonnière, ancien Procureur Général, et L. Dupré. Un rapport sur mes très modestes recherches archéologiques avait été fait dès Octobre (c’est-à-dire à une époque où ni moi ni personne ne pensait à mon incorporation) par le Général L. Segrétain. Résumé au procès-verbal de la séance d’octobre, il a été simplement relu par le Général, Vice-Président, à celle de mars, tenant ainsi lieu de rapport règlementaire. Je succède à un autre Loudunais d’origine, Mr. Jean-Edmond Ernoul, ancien magistrat député de la Vienne, et Ministre de la Justice, Commandeur de Saint Grégoire le Grand, décédé en Septembre dernier. J’ai reçu notification de mon élection ce matin par la réception du grand diplôme. Cela ne m’impose aucune obligation incompatible avec mes occupations ordinaires. Je devrai simplement assister à une réunion afin de me choisir un représentant. Ce sera probablement le Général Segrétain, et tenir la Société au courant des découvertes intéressantes que la bonne Providence pourrait me réserver. Du côté des études les avantages sont très considérables. Je serai heureux, Mon Révérend Frère Supérieur, si ma nomination peut vous être agréable et contribuer, dans une très petite mesure sans doute, au bon renom de notre cher Institut. Daignez agréer, Révérend Frère Supérieur, l’hommage des sentiments respectueux et soumis avec lesquels j’ose me dire votre bien humble serviteur et fils en N. S. Frère René Congrégation de Saint-Gabriel XXIV LE VULNÉRAIRE DU CHRIST La Roche Vernaize par Trois-Moutiers, Vienne, le 11 septembre 1900 Révérend Frère Supérieur, Le travail d’archéologue que je suis venu faire au Loudunais touche à sa fin, je ne veux point attendre son complet achèvement pour vous informer des résultats. Nos fouilles ont été laborieuses et bien sérieusement menées, grâce à la grande amabilité de Mr. de La Villebiot qui n’a rien épargné pour les rendre véritablement utiles. Aussi jettent-elles un peu de lumière sur une partie assez mal connue de notre archéologie poitevine. Nous avons terminé la fouille d’un grand dolmen-ossuaire de l’époque néolithique, c’est-à-dire d’une dizaine de siècles avant J. C. J’y ai constaté la présence de sept ou 8 ensevelissements singuliers : les corps des défunts décharnés avant leur sépulture n’avaient été mis que partiellement dans le dolmen. Pour chacun d’eux on avait employé le même rite : les grands os formaient un carré au milieu duquel les petits os se trouvaient renfermés. Nous n’avons rencontré qu’un seul crâne entier, il surmontait le milieu du carré formé par les ossements, et sur lequel il a été photographié comme pièce à conviction. Nous avons trouvé avec les restes humains quelques armes et restes d’industrie. Sous la table du dolmen, les matériaux étaient ainsi disposés : 0,79 de remplissage de terre meuble, une épaisse couche de pierre calcaire, puis la couche de terre contenant les restes humains, sous laquelle se trouvait un véritable pavage de plaques de grès. Le second dolmen n’est pas encore assez avancé pour que je puisse en parler. C’est là, je crois, une des plus belles, parmi les rares fouilles préhistoriques qui aient été faites en Poitou, et je vous remercie bien vivement, Révérend Frère Supérieur, de m’avoir permis de la diriger. Monsieur de La Villebiot est lui-même tout heureux de m’avoir fourni cette superbe étude, et me charge de vous présenter ses bien respectueux sentiments. J’espère me retrouver néanmoins dimanche si Dieu veut à Saint-Amand. Daignez agréer, Révérend Frère Supérieur, l’hommage de mon très religieux respect et de ma filiale soumission. Frère René Congrégation de Saint-Gabriel AVANT-PROPOS Lettre du Frère René (Louis Charbonneau-Lassay) du 11 septembre 1900 rapportant ses récents travaux d’archéologie à son Révérend Frère Supérieur. XXV XXVI LE VULNÉRAIRE DU CHRIST AVANT-PROPOS XXVII XXVIII LE VULNÉRAIRE DU CHRIST Saint-Amand-sur-Sèvre, le 28 septembre 1900 Révérend Frère Supérieur, La Providence a voulu que les recherches que j’ai été faire en Loudunais n’aient point été vaines ; les fouilles des dolmens étudiés ont en effet permis des constatations importantes qui n’avaient point encore été faites dans l’Ouest ; elles ont révélé dans l’ossuaire de Roche Vernaize des particularités anthropologiques que l’on ne trouve pas indiquées dans les ouvrages des explorateurs de dolmens. Comme la chose en vaut la peine, je vous prie, Révérend Frère, de vouloir bien m’autoriser à répondre aux désirs de Mr. de La Villebiot, en donnant connaissance des résultats de nos fouilles aux sociétés savantes de France, par l’intermédiaire de la « Revue d’Archéologie » de Paris, ou par « L’Anthropologie », les deux organes de l’Académie des Inscriptions qui m’ont déjà plusieurs fois demandé des travaux. Cette étude, très courte, est l’affaire de quatre heures de travail environ, facilitée qu’elle est par les nombreux et sérieux documents pris sur place. Comme j’ose espérer votre autorisation, je prends, Révérend Frère Supérieur, la liberté de vous demander dès à présent auquel des B. C. F. membres du Conseil Administratif, je devrai adresser le manuscrit de cette étude. Par le fait même de ma situation dans les « Antiquaires de l’Ouest », je dois aviser cette Société des résultats acquis à Roche Vernaize, localité qui se trouve dans sa circonscription territoriale. J’espère le faire par une simple lettre ordinaire à notre Président ou au R. P. de la Croix. Daignez recevoir, Révérend Frère Supérieur, l’humble hommage de mon filial respect et de mon absolue soumission. Frère René Congrégation de Saint-Gabriel AVANT-PROPOS XXIX 3. Correspondances ayant trait au Frère René Lettre de l’Abbé Pierre-Jacques Garreau (1822-1886), archiprêtre de Loudun, à Frère Hubert (Pierre Robineau, 1831-1904), supérieur général des Frères de Saint-Gabriel de 1883 à 1898, où il parle de la vocation de Louis Charbonneau-Lassay, élève des Frères. Loudun, le 11 février 1885, Mon très Révérend Frère, Le Comité Catholique constitué à Loudun pour l’œuvre des Frères a donné de belles étrennes aux enfants désignés par leurs maîtres, soit sous le rapport du travail, soit sous le rapport de la conduite. Il a voulu prouver ainsi l’intérêt qu’il porte à notre chère maison. Cinq livrets de la Caisse d’Épargne à 5 Fr. et plusieurs beaux volumes ont été distribués par ces messieurs eux-mêmes, et cette distribution a été précédée d’un examen. La solennité de cette réunion, la nature des récompenses n’ont pas manqué de produire un salutaire effet sur l’esprit des enfants. J’espère que ce sera pour tous un véritable motif d’émulation. Au reste, je dois le dire franchement, cette émulation est admirable. Il y a longtemps que les classes des frères nous avaient offert un spectacle si consolant. Les élèves doivent sans doute être loués de leur bon esprit et de leur zèle au travail. Mais, en faisant la part de tous, je confesse que ce résultat est dû au dévouement des frères instituteurs qui ont excité par les élèves cette ardeur au travail. Le Comité l’a reconnu formellement. Je crois que l’affaire est en bonne voie. Mais vous savez, mon très cher Frère, nous manquons d’une tête. Le cher Frère [Marie-]Michel [Louis Morinière, 1811-1893], excellent religieux, dirige très bien les finances. Ne faudrait-il pas autre chose pour imprimer à la maison une direction plus utile ? Ces messieurs m’en ont fait la remarque avec discrétion sans doute, mais il est facile de deviner leurs pensées. Je connais bien votre désir : peut-être y aurait-il maintenant moins d’obstacles à le réaliser. J’éprouve de la peine à revenir sur cette question. Mais je crois nécessaire plus que jamais d’insister, si nous voulons donner à notre chère maison l’impulsion vigoureuse dont elle a besoin. Je vais parler ces jours-ci à la famille Charbonneau, afin d’obtenir le consentement des parents au départ du jeune Louis qui depuis si longtemps désire entrer à votre noviciat. Veuillez agréer l’expression de mes sentiments respectueux et dévoués. Garreau, prêtre P. S. Mon neveu me prie de vous offrir ses respectueux souvenirs. XXX LE VULNÉRAIRE DU CHRIST Extraits d’une lettre du Frère Théodoret (Pierre-Marie Barré, 1857-?), professeur à Loudun, au Frère Martial, maître des novices à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Mon bien cher frère Directeur, Je saisis avec plaisir l’occasion du voyage du cher frère Brieuc [Yves Ollivier, 1849-?], pour vous remercier de l’heureux placement du frère Alléaume [Henri-Edgard Giroire, 1870-?] … … La bonne Dame Croué a profité de l’absence du frère Michel pour me faire visite, elle voulait savoir définitivement les différents prix de la pension. Je lui ai exposé de nouveau qu’il y avait deux pensions, l’une de 300 f. et l’autre de 400 f. Elle a choisi de préférence celle de 400 f. Elle s’engage en outre à payer les suppléments de pension qu’exigeront les différents besoins de l’enfant, tant au physique qu’au spirituel. C’est-à-dire qu’elle vous prie de ne rien épargner pour fortifier sa santé et développer sa vocation comme religieux et comme instituteur. Vous voudrez bien tout noter, et la bonne dame payera largement. Nous avons fixé le départ de l’enfant [le jeune Louis Charbonneau] au mardi 28 avril. Mr. l’abbé Barbot tient à le conduire au Noviciat ainsi que la famille. L’enfant possède un livret de 4000 f. à la Caisse d’Épargne, il est si généreux qu’il l’aurait donné sans cérémonie à son frère âgé de 8 ans, mais je m’y suis opposé. Pour me mettre à l’abri des susceptibilités du cher frère Michel, j’ai convoqué secrètement Mr. Barbot et la famille Charbonneau à venir parler au cher frère Directeur hier. Nous avons maintenu tout ce qui avait été dit jeudi sans laisser voir au cher frère que tout était réglé à l’avance… L’enfant est dans la plus grande exultation depuis cette décision ; il compte sans cesse les jours et les heures qui le séparent encore du noviciat. Une grande et dernière difficulté se présente encore, mais j’espère qu’avec l’aide de vos bonnes prières nous en viendrons à bout. L’enfant a un oncle chanoine de Poitiers qui est prêtre habitué de Loudun et qui désire que l’enfant soit prêtre. Il ignore encore tout ce qui se passe pour son neveu. Il a été convenu qu’on ne lui apprendrait la chose que la veille du départ, au moment des adieux. Je lui donnerai à espérer de présider la cérémonie de la prise d’habit de l’enfant s’il persévère… La santé du petit Émile Mauberger est presque rétablie. Un curé-médecin de Poitiers a deviné sa maladie et la combat avec succès. Il est venu me voir ces jours derniers et je lui ai annoncé le prochain départ de son ami pour le noviciat. Le pauvre enfant a été si frappé de cette nouvelle qu’il s’est jeté dans mes bras disant : « Et moi, cher Frère, quand est-ce donc que je partirai ? ». De grosses larmes tombaient de ses yeux… Je lui ai prêché la résignation en attendant l’heure de la Providence, lui promettant tout le concours qui serait en mon pouvoir. Vous voyez qu’il est toujours animé des mêmes sentiments. Ces deux enfants se joignent à moi pour vous présenter leurs hommages respectueux et se recommandent aux prières du noviciat. Votre très respectueusement attaché en N. S. Loudun, le 13 avril 1885 Frère Marie-Théodoret, Enfant de Marie AVANT-PROPOS XXXI Lettre de l’Abbé Ernest Barbot (1856-1894), vicaire de la paroisse Saint-Pierre de Loudun, au Frère Martial, maître des novices à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Loudun, le 21 avril 1885 J. M. J. Mon bien cher Frère, De Nazareth autrefois on avait dit : « Peut-il en sortir quelque chose de bon ? ». De Loudun aussi la Maison-Mère de Saint-Gabriel aurait pu dire la même parole. Aujourd’hui, grâce à Dieu, il n’en est plus de même. Les vocations semblent au contraire se multiplier. Saint Alléaume, le patron de la cité loudunaise, s’est chargé de la chose, c’est entre bonnes mains. Il vous a envoyé une bonne petite vocation, je crois, dans Henri Giroire. Aujourd’hui, il vous envoie un Louis d’or. Merci à notre grand saint Alléaume. J’espère aller conduire ce cher enfant Mardi ou Mercredi prochain. Du reste, le frère Michel écrira à ce sujet à votre vénéré Supérieur Général, mais j’ai pensé que vous lui diriez vous-même la chose, et de plus que je ne l’ennuierai pas par une lettre, en ce moment surtout où il doit être très occupé. À bientôt par conséquent. Je me recommande à vos bonnes prières. Votre tout dévoué en Notre Seigneur. E. Barbot Vicaire de Saint-Pierre XXXII LE VULNÉRAIRE DU CHRIST Lettre du Frère Marie-Michel, directeur de l’école de Loudun de 1857 à 1886, au Frère Martial, maître des novices à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Loudun, le 6 novembre 1885 Mon bien cher Frère Directeur, Madame Croué, Mr. et Madame Charbonneau sont très inquiets de Louis ; ayez donc la bonté de lui dire d’écrire immédiatement à ses parents et à sa bienfaitrice. Cette bonne dame vous prie de me dire positivement comment va cet enfant : 1 - Sa santé est-elle bonne ? 2 - A-t-il toujours mal aux yeux ? 3 - L’avez-vous conduit à Nantes pour le faire voir à un dentiste, et que ce médecin a-t-il dit ? (il paraît que notre supérieur a dit à cette dame que vous le feriez voir) Cette dame vient me payer le trimestre et le supplément, s’il y en a un. Envoyezmoi le reçu, et je vous ferai passer l’argent à la 1re occasion. Je pense que le bien cher Frère Fortuné [Alexis Énault, 1839-1914] vous a tenu compte des 200 f. de Monsieur Giloire de Mortaizé. Ne donnez pas connaissance de ma lettre à Louis ; cependant vous pouvez lui dire, si vous jugez bon, que ses parents se portent bien, ainsi que Madame Croué. Je vous prie d’agréer mon respect et celui de mes frères ; et de dire bien des choses de notre part au Très Cher Frère Supérieur. Votre petit frère en Jésus et Marie. Frère Marie-Michel P. S. Je désire avoir la réponse mardi au plus tard, Madame Croué doit venir à la maison. AVANT-PROPOS XXXIII Lettre de l’Abbé Théophile Barbot, archiprêtre de Loudun, au Frère Martial, supérieur général. Loudun, le 19 août 1900 Mon Révérend Frère, Permettez-moi d’unir mes instances à celles de Mr. de La Villebiot. Les bons travaux et l’année très méritante du cher Frère René me font espérer que vous voudrez bien lui accorder comme récompense cette visite à sa famille et à son propre pays. J’ajoute que Roche Vernaize n’étant pas très éloigné de Loudun, le Frère René pourra très bien coucher chaque soir dans sa famille. Je ne finirai pas cette lettre, mon Révérend Frère, sans vous faire part de la consolation que me donne votre Maison de Loudun. Dieu nous bénit visiblement après nous avoir éprouvés. Le mérite en est à nos bienfaiteurs, mais principalement au Frère Didyme [Antoine Constantin, 1842-1920], auquel je demanderai de continuer votre bienveillance et votre concours, surtout en ce qui concerne les professeurs. Veuillez agréer, Mon Révérend Frère, l’hommage de mon profond respect. Th. Barbot, chan. hon. Archiprêtre de Loudun XXXIV LE VULNÉRAIRE DU CHRIST Portrait non daté de Louis Charbonneau-Lassay. Archives privées.