Pierre Soulages … le Louvre et le Noir

Pierre Soulages (1919-xx) a fêté ses 100 ans il y a quelques mois et le Musée du Louvre lui rend un hommage en organisant dans le Salon Carré une rétrospective très sélective (une grosse vingtaine d’oeuvres) de l’oeuvre du maitre du noir. Comme le précise le site du musée, seuls Chagall et Picasso ont eu, de leur vivant, l’honneur d’une telle exposition. L’occasion de se confronter au parcours créatif de ce peintre toujours en activité et dont les toiles s’arrachent désormais à coup de plusieurs millions d’euros !

Une sélection subjective d’oeuvres significatives de 80 ans de création

La rétrospective, montée par Pierre Encrevé et Alfred Pacquement propose un voyage chronologique au travers de l’univers pictural de Pierre Soulages qui trouve ses origines dans les années 40 avec des étalements de brou de noix. Le noir profond n’est pas encore là mais rapidement d’étonnantes plaques de verre (issues des vitres cassées d’une serre) brossées avec du goudron (1948) le font entrer en scène. L’exposition se prolonge par quelques toiles de grande taille sur lesquelles le noir ne joue plus avec la transparence du support mais vient se superposer à de discrets fonds colorés ou à du blanc, en grands aplats encore non texturés (années 1960) . Un jour, en peignant, Pierre Soulages se dit qu’il a mis trop de noir sur sa toile. Il en est d’abord contrarié au point de laisser ses pinceaux et d’aller faire une sieste. A son retour, la révélation : le noir offrait plus de possibilités seul que juxtaposé à d’autres couleurs. Le peintre obtenait davantage d’effets de lumière en jouant avec les textures du noir et ses reflets qu’avec les couleurs traditionnellement lumineuses. En 1979, il invente le concept d’outrenoir qu’illustre la dernière partie de l’exposition constituée de pièces plus contemporaines, certaines datant de quelques mois et peintes pour l’occasion ; ces dernières, gigantesques, montées sous forme de polyptyques alternent des surfaces lisses, des stries, des vagues et des hachures dans une pâte uniformément noire mais soudain irisée de multiples reflets.

La « scénographie » du lieu aurait pu être plus soignée et plus spectaculaire

L’endroit surprend pour cette exposition. Certes le Salon Carré, à l’entrée de la Grande Galerie abritant la peinture italienne et à proximité directe de la Victoire de Samothrace garantit un passage intelligemment aiguillé pour « obliger » le visiteur lambda à passer par là tout en simplifiant l’accès à celui qui ne vient « que pour Soulages ». Le plafond de la salle, superbement décoré offre une hauteur qui permet aux volumineux formats verticaux de s’exprimer sans paraitre écrasés mais la circulation dans les deux zones d’exposition donne une impression de petitesse. En fait, on se serait attendu à hommage plus monumental, ou plus spectaculaire pour ce peintre qui a su s’affranchir de tous les codes pour créer son propre langage, diamétralement opposé au principes de la Peinture académique aussi contemporaine soit-elle. Le point intéressant est de pouvoir, conscient de cette lumineuse révolution (la recherche du reflet), revoir avec un nouvel oeil les oeuvres italiennes des siècles passés exposées dans les salles voisines. Mais pour l’effet hommage, j’avoue rester perplexe sur le choix de cet endroit et de ce format.

Quand l’émotion laisse place à la fascination, l’art ne devient-il pas prouesse technique ?

Difficile de dire que l’on peut rester de marbre devant les tableaux de Pierre Soulages, ou que, dans un excès de mauvaise foi sur l’art contemporain on puisse lui reprocher d’avoir barbouillé des toiles en noir et d’appeler cela de l’art … certains ayant déjà tenté ce coup de bluff avec des tas de graviers ou des bouts de moquettes, cette réflexion pourrait, en d’autres situations, et n’en déplaise aux dandys qui font l’art contemporain, être tout à fait légitime. Mais la monochromie est amenée, pensée et minutieusement travaillée, jusqu’à finalement la transcendance de la (non) couleur. Et l’on reste bouche bée devant les derniers grands formats frôlant les 4 mètres d’envergure ; bouche bée mais pas figé, car Soulages nous pousse à vivre la peinture autrement. Son oeuvre ne fixe pas spectateur. Au contraire, les stries, rayures, raclures, coups de taloche et autres scarifications faites au pigment noir (on se prend d’ailleurs à chercher quels outils ont été utilisés, certains même surement fabriqués pour l’occasion), l’obligent à bouger autour de l’oeuvre pour laisser son oeil jouir des effets de lumière. On regrette d’ailleurs de ne pas pouvoir voir les tableaux à la lumière naturelle, qui ajouterait au fil de la journée une autre variable dans la manière de les percevoir. Mais il me semble que l’impact s’arrête là ; que l’efficacité réside dans l’audace du peintre d’aller à contre courant du commandement premier dans l’Histoire de la Peinture qui est de l’affranchir des effets de la lumière naturelle ; que la fascination s’arrête paradoxalement au moment ou l’artiste nous fait rentrer dans son tableau (là où la Peinture classique ne nous laisse pas franchir le cadre). Soulages m’a fait partager son processus créatif, sa manière de penser le pigment et la lumière, mais au delà de ce passionnant voyage, je n’ai pas su trouver d’histoire à l’intérieur de ces captivants trous noirs

Peut-être une exposition plus dense et moins conventionnelle aurait-elle eu un impact plus grand et provoqué une émotion plus forte qu’une simple mais immense admiration technique.  Peut être un autre cadre dans le Louvre aurait été plus adapté pour magnifier ces oeuvres : j’imaginais une confrontation à la statuaire grecque, aux colosses assyriens ou, soyons fou, une mise en scène dans une Galerie d’Apollon customisée pour l’occasion … Ce fut en tout cas une très belle visite pour me familiariser avec l’un des très grands noms de la peinture contemporaine… visite à classer (sortie récente du Michelin oblige) dans la catégorie : « vaut le détour » !

Soulages au Louvre – Musée du Louvre jusqu’au 9 Mars 2020 

Crédit photos le Vicomte

 

 

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